« Je crée quand je me sens très connectée à mes émotions, soit la douleur soit la joie »
On s’était donné rendez-vous dans un café du quartier pas loin de son studio. On se connait depuis quelques années en tant que membre de Bravo-Sud et pour avoir siégé ensemble sur le conseil d’administration de cet organisme.
D’entrée de jeu, Shirin me dit qu’elle a besoin de créer pour faire ressortir ses émotions vécues à partir des représailles et les oppressions faites aux femmes en Iran, son pays d’origine. Elle en a porté longtemps les stigmates dont elle s’est débarrassée une couche à la fois mais, qui reviennent parfois.
Shirin est une « boule d’émotions », elle m’explique qu’elle en a besoin pour créer: « Quand mon bassin d’émotions est plein, alors, j’éclate dans mon art. » Cela lui permet de mettre ses douleurs de côté. Elle porte en elle, et même à fleur de peau, les cicatrices des répressions vécues durant son jeune âge et au début de l’âge adulte dans son pays natal: « Je vivais continuellement enfermée dans une prison mentale, socialement et culturellement. » Elle illustre d’ailleurs cette prison dans une de ses œuvres où on voit une jeune femme voilée derrière des barreaux, vision métaphorique de cette prison de l’esprit où elle a été enfermée et réprimée en tant que femme.
Artiste visuelle et éducatrice de beaux-arts, elle travaille à Toronto depuis 2004. Entre ses prestations scolaires, elle se consacre presque entièrement à son art. Shirin est très disciplinée et sait ce qu’elle veut, dans le domaine artistique tout au moins! Artiste multidisciplinaire, elle touche un peu à tout mais se dit avant tout sculptrice. Un bloc d’argile pour elle est une boule d’émotions comme ont pu le constater les nombreux publics d’ici et d’ailleurs. En effet, ses œuvres ont été présentées à la fois au niveau national et international.
Dans une de ses vidéos, on la voit se débarrasser de son voile et de sa robe longue. Voilà une façon de se départir d’une identité étouffante du passé pour en adopter une nouvelle lui permettant de donner libre cours à sa création artistique. Elle ressent toujours une connexion profonde entre elle, en tant qu’artiste, et les autres femmes iraniennes.
Quant à savoir si elle se considère comme une artiste engagée, Shirin répond positivement: « Engagée par mon art et la nature qui m’entoure. Je suis une personne intuitive qui est guidée par l’émotion. Quand c’est trop fort, ça doit sortir. Je canalise mes émotions afin de faire passer des sentiments très durs que peuvent ressentir les femmes en Iran, et de témoigner de la beauté, la poésie, que ce pays recèle. »
Pour vivre pleinement sa vie et s’intégrer dans la société qui l’a accueillie. Il a fallu que Shirin fasse une coupure avec l’ancienne. Un passage qui lui a été difficile à vivre. Elle a été rejetée par son ancienne culture qui ne comprenait pas l’objectif de sa démarche. Elle s’est retrouvée déchirée devant ses choix et du même coup ostracisée par sa familleL « Je vis entre deux mondes et ne me sens pas toujours tout à fait d’ici et plus d’ailleurs non plus. » Elle ne laisse pas les barrières sur son chemin l’arrêter: « Je n’ai pas un caractère à défoncer, je les contourne finement. »
Shirin reste cependant optimiste. Même dans la tristesse avoue-t-elle, elle voit le bon côté des choses. La nature lui fait particulièrement cet effet, elle la voit comme une continuation de la vie et elle s’y sent bien à écouter le chant des oiseaux. Elle s’efforce de vivre au présent et de diriger ses émotions, thème récurrent tout au long de notre discussion.
Shirin a beaucoup de projets artistiques en tête, elle est en pleine création travaillant avec de la laine repoussée afin de créer des personnages qu’elle veut mettre en scène dans une vidéo à venir. Elle espère pouvoir canaliser et être en contact avec ses émotions grâce à la création artistique. Elle ne se donne pas la permission d’être malheureuse. La voilà repartie avec son plus beau sourire.
Un portrait signé Gabriel H. Osson