Monia Mazigh

– Monia Mazigh, on dit que vous êtes une « femme militante ». Qu’est-ce que cela signifie ?

C’était la première fois que je m’entretenais en profondeur avec l’auteure. Toutes deux occupées et engagées, elle, surtout, sollicitée par les médias depuis la parution de son tout dernier roman, Du pain et du jasmin, nous avions décidé de nous rencontrer à l’heure du dîner un jour de semaine. Elle a déposé son sac et m’a souri : « Être militante, a-t-elle commencé, c’est oser parler pour exprimer des opinions différentes de ce qui se dit. »

Originaire de Tunisie, Monia Mazigh a grandi dans un pays régi par la peur. Arrivée au Canada en 1991 pour y faire des études en finances, elle a choisi de porter la voix de ceux qui n’ont pas les moyens de se faire entendre. « Écrire, pour moi, est une façon de changer le monde à l’aide des mots, des histoires. »

Auteure de trois ouvrages, soit deux romans et un essai, Monia Mazigh s’est fait connaître pour avoir défendu l’innocence de son mari Maher Arar, injustement renvoyé des États-Unis vers les prisons syriennes où il a été torturé. Elle livre ce combat dans une première publication, Les larmes emprisonnées (Boréal, 2008). Même si le désir d’écrire était déjà présent chez elle, c’est ce livre qui « [lui] a donné la confiance de continuer à écrire sur des sujets qui [la] préoccupent. »

Habitant aujourd’hui à Ottawa avec son mari et leurs deux enfants, Monia se tourne davantage vers la fiction qui lui permet de raconter des événements « avec un peu plus de détachement, de latitude et d’ouverture ». Ce qui caractérise son œuvre, surtout ? Une forte présence féminine. Parus à quatre années d’intervalle, ses romans Miroirs et mirages (2011) et Du pain et du jasmin (2015) mettent en scène « des personnages féminins attachés à leur culture et leur spiritualité ; des personnages que l’on pense connaître déjà, mais qui nous surprennent ».

Ces femmes, précisions-le, ne sont pas toutes de religion musulmane ; Monia Mazigh dresse avant tout le portrait de femmes à la croisée de chemins, aux prises avec des révolutions tant intérieures qu’extérieures. Dans Miroirs et mirages, il est question de culture, de religion, de vie familiale, de conflits intergénérationnels, veine qu’elle continue d’explorer dans Du pain et du jasmin où elle fait le pont entre deux époques et deux continents.

« En 1984, en Tunisie, on vivait de façon très superficielle, explique-t-elle. On ne pouvait parler de pouvoir politique, de justice sociale, de rêves de jeunes. De plus, les relations étaient très hiérarchiques ; les filles ne se posaient pas de question. Aujourd’hui, les femmes sont toujours en position d’infériorité, mais les rapports hiérarchiques ne sont pas aussi forts. Les femmes cherchent leur place, mais c’est difficile puisque les bases de la société demeurent traditionnelles. »

Vivant au Canada depuis plus de vingt ans, Monia Mazigh reconnaît avoir été témoin d’une évolution sur le plan des perceptions des minorités. Néanmoins, l’opinion publique demeure fortement teintée par un discours international marqué par la peur, affirme-t-elle. « Les médias présentent une version très polarisée des débats », ce qui implique naturellement que deux groupes sont en opposition et que l’un est menacé par la présence de l’autre.

Les livres de Monia Mazigh, par ailleurs, ouvrent une porte sur l’autre, quelle que soit son appartenance, linguistique, culturelle, religieuse. Alors que l’auteure écrit par souci de justice sociale, son œuvre littéraire est tout à l’image de sa personnalité de « combattante ». « C’est un visage qui vient complémenter ce que je suis déjà, » lance-t-elle.

Son plus grand défi, en tant qu’auteure et femme musulmane, est d’« aller au-delà du cliché, [de] ne pas être prévisible ». Elle y parvient en se penchant sur de nombreux sujets et en présentant divers aspects des réalités. « Je crois qu’il est important pour tout auteur d’apporter quelque chose de nouveau. » Elle compte ainsi « être perçue et entendue comme une autre voix qui s’ajoute à la mosaïque ».

Un portrait signé Sonia Lamontagne