Esery Mondesir

Cinéaste canadien d’origine haïtienne, Esery Mondesir fait beaucoup dans le cinéma social ayant pour soubassement l’expérience migratoire. Il a réalisé, entre autres, le court-métrage documentaire « Arme dangereuse », finaliste du concours de TVO. Avec son métier, il vit souvent dans ses valises, comme on dit. Après quelques échanges de courriels, distance oblige parce qu’Esery était parti en vacances pour tout l’été, nous nous étions convenus de nous relancer à la rentrée. Et la rentrée, c’est aussi le branle-bas de combat pour un cinéaste. Notre rendez-vous a été repoussé à cause du TIFF (Toronto International Film Festival) où Esery avait des engagements. Il m’a écrit un gentil mot pour s’excuser de ce léger contretemps, mais je suis allé moi-même au TIFF en tant que spectateur et l’importance de ce festival pour un cinéaste était elle-même une excuse valable.

Après le festival, nous nous sommes repris très rapidement parce que j’avais hâte de cerner un peu ce cinéaste issu de l’immigration, ses motivations, son goût pour l’art, les thèmes qu’il affectionne, ses projets d’avenir, etc. En parlant des thèmes justement, tout artiste en a toujours quelques-uns de prédilection et Esery ne fait pas exception.

« Mon travail de cinéaste prend un positionnement critique par rapport aux phénomènes sociaux, politiques et culturels des temps modernes pour proposer une lecture de notre société à partir de ses marges. Je suis motivé par un devoir de mémoire collective perçue, non comme un objet historique figé dans le temps et l’espace, mais plutôt comme un tissu vivant que les interactions humaines continuent d’alimenter et de renouveler. Ma pratique cinématographique s’étend du documentaire à l’expérimental, en passant par la fiction et le film hybride; mais quel que soit l’idiome choisi, mon œuvre se fait à la fois témoin et écho de l’expérience migratoire et de la crise identitaire qui s’ensuit souvent. »

De cette réponse, j’ai retenu quelques mots-clés comme mémoire collective, expérience migratoire ou encore crise identitaire. Qu’en est-il alors de l’influence que peut avoir le fait d’être un franco-ontarien issu des minorités visibles sur son art en général?

« Je n’utilise jamais le terme franco-ontarien pour définir ma présence en Ontario. Historiquement ce terme a servi pour délimiter une communauté à laquelle je n’appartiens pas. Je suis francophone, noir, nouveau Canadien originaire d’Haïti. Toutes ses marques identitaires, en fait, déterminent mon art et en sont les principaux ancrages. Ce n’est pas du tout un choix puisque je n’existe pas, pour moi comme pour les autres, en dehors de ces paramètres. Mes films n’ont pas l’ambition de traiter de “thèmes universels”; ils veulent tout simplement dire les histoires oubliées (ou négligées), non dites (ou mal-dites) par les structures culturelles dominantes. »

Ces paroles peuvent sembler quelque peu philosophiques, voire hermétiques ou même un peu militantes ou engagées, mais c’est dans cette optique-là qu’il écrit ses films, y compris « Arme dangereuse » qui a été bien reçu par la critique. Le cinéaste n’élude pas cette question, bien au contraire, il confirme plutôt d’une certaine manière l’impression qui sort de ses films et de sa façon de fonctionner dans le septième art :

« Pour moi, tout art est positionnement par rapport à une réalité que l’artiste choisit d’ignorer ou de confronter, d’exalter ou de critiquer. Je pense faire partie de ce groupe d’artistes qui assument le fondement idéologique de leur démarche artistique et leur devoir de refléter le temps et la situation dans lesquels elles/ils se retrouvent – pour reprendre la formule de Nina Simone. Donc, oui, mon art prend un engagement envers les communautés dont je suis issu. Mais je ne me fais pas d’illusion : l’art, tout engagé qu’il soit, n’a jamais changé les conditions matérielles dans le monde. Ce sont les femmes et les hommes qui s’engagent à tout changer quand elles/ils n’ont aucune autre option. »

Esery se tourne tout de suite vers l’avenir, lui qui est encore un peu à califourchon entre son métier de cinéaste et ses études à l’Université York qui touchent à leur fin. Il a trouvé le moyen, l’occasion faisant le larron, d’axer son dernier travail de fin d’études sur le cinéma et la possibilité d’aller au-delà.

« Je suis en train de mettre la dernière touche à ma thèse de sortie du programme de maitrise en beaux-arts à l’Université York. C’est un moyen métrage qui raconte l’histoire de la présence haïtienne à Cuba. Mes projets futurs resteront peut-être centrés autour de l’expérience migratoire haïtienne un peu partout dans le monde, mais, artistiquement, ces projets s’étendront sûrement au-delà du cinéma traditionnel pour explorer d’autres registres audiovisuels, le cinéma expérimental par exemple. »

Nous avons pensé tous les deux avoir fait le tour de la question, lui étant à la fois au début de sa carrière et dans son moment charnière. Il a donc le temps de nous donner à voir plein d’histoires.

Un portrait signé Aristote Kavungu