Edwige Jean-Pierre

C’est en évoluant sur plus d’un tableau qu’Edwige Jean-Pierre réussit à s’épanouir dans l’univers théâtral. Cette dramaturge et comédienne est née à Ottawa d’un père congolais et d’une mère haïtienne; elle écrit et joue en français et en anglais. Bien que francophone, elle s’est d’abord fait connaître dans des festivals et compagnies de théâtre anglophones à Toronto.

« Je ne suis jamais allée dans le pays de mes ancêtres maternels. Ma mère voulait que je m’intègre à la société canadienne, donc je n’ai jamais appris le créole, on parlait le français à la maison. Je suis venue à Toronto il y a une dizaine d’années », après un baccalauréat ès arts de l’Université d’Ottawa et un diplôme en théâtre du conservatoire Studio 58, à Vancouver.

Au lendemain de sa formation dans l’Ouest canadien, en anglais, elle tente en vain de percer à Ottawa et à Montréal. Elle prend alors un billet aller-simple pour Toronto et va frapper à la porte de Buddies in Bad Times Theatre, la compagnie lgbt de la métropole. Edwige Jean-Pierre est reçue à bras ouverts. Son spectacle solo Even Darkness is Made of Light, entamé lors de ses études à Vancouver, est présenté au Rhubarb Festival de Buddies in Bad Times Theatre, au AfriCanadian Playwrights’ Festival, au SummerWorks de Toronto et au International Play Festival de l’université Ohio Northern.

Avec Even Darkness is Made of Light, Edwige aborde la délicate question du suicide. « Le sujet m’intéressait depuis quelques années – j’ai grandi avec Kurt Cobain et non Britney Spears –, mais je ne trouvais pas de bonnes pièces, alors j’ai décidé d’en écrire une. » Aussi surprenant que cela puisse paraître, le résultat est une comédie; la raison est bien simple : « un commentaire social passe souvent mieux sur un ton léger, avec une touche d’humour noir ».

En tant que jeune dramaturge noire, Edwige bénéficie d’une formation au sein d’Obsidian Theatre’s Playwright Unit, puis chez Tarragon Theatre’s Playwright Unit. Le premier appuie des dramaturges noirs dont les écrits reflètent la réalité canadienne ; le second est une des plus importantes compagnies de théâtre dans la Ville Reine.

Avec Tarragon Theatre, Edwige apprend qu’une artiste peut parfois être muselée. Cette compagnie, qui dessert un public plutôt wasp, lui demande de changer le titre de sa création Saint Bitch – elle devient Our Lady of Spills (2010) – et de modérer un peu son commentaire social. Cette pièce met en scène Lillian, qui vit dans une résidence pour personnes âgées, et son infirmière noire prénommée Sandrine. La première rend la vie misérable pour la seconde, mais devra se faire pardonner pour trouver la paix.

L’éducation catholique de l’auteure entre évidemment en jeu dans cette pièce. De plus, en choisissant d’aborder le sort d’une immigrante (Sandrine), l’auteure a dû faire face à tout un spectrum de réactions, allant du Bravo au « Comment oses-tu traiter d’un sujet comme ça ? ». Elle apprend que toutes les pièces peuvent être écrites, mais elles ne sont pas toutes nécessairement produites par une compagnie de théâtre.

En plus d’écrire et interpréter ses créations, Edwige a joué des rôles dans plusieurs pièces, notamment Late de Marcia Johnson (2008), An exercice in Futility: A Nihilistic Tale de Michael Rubenfeld (2009) et Fear & Misery of the Third Reich de Bertolt Brecht (2009).

Le public francophone a pu apprécier le talent d’Edwige Jean-Pierre en 2016 lorsque la pièce Espoir/Espwa a été présentée par le Théâtre français de Toronto. Trois femmes d’origine haïtienne ont écrit et interprété Espoir/Espwa : Djennie Laguerre, Carline Zamar et Edwige Jean-Pierre. Au début, il s’agissait de monologues, puis les trois ont travaillé ensemble car elles voulaient toutes qu’on cesse de parler d’Haïti comme un lieu de tristesse et de misère. « En fin de compte, mis à part le séisme, il n’y a qu’une seule autre chose assez puissante pour déplacer des montagnes : l’espwa ! »

Edwige Jean-Pierre estime qu’il ne faut jamais cesser de croire en soi. « Quand on passe une audition, le rejet fait partie de la business. » La dramaturge/comédienne ajoute qu’« il est très important aussi de s’entourer de gens qui croient en vous ». Elle est heureuse d’avoir été appuyée par les directions artistiques de Buddies In Bad Times Theatre, de Tarragon Theatre et du Théâtre français de Toronto.

Un portrait signé Paul-François Sylvestre